Charlotte était si troublée par la situation que les paroles de Will semblaient lui passer au dessus de la tête. Savoir comment elle allait, comment s'était passée sa semaine, toutes ces choses bénignes qui lui faisaient pourtant tant plaisir à l'accoutumé étaient devenues insignifiantes. Paralysée par la suite, il lui fallut quelques instant pour répondre enfin, affichant un sourire étrange qui n'était pas d'elle. Son attitude ne collait pas, assez sans doute pour que son mari finisse par se douter que quelque chose n'allait pas mais la jeune femme n'avait pas la force de plonger si tôt dans le vif du sujet.
« C'est comme si c'était fait. » Tenta-t-elle donc avec un semblant d'optimisme, peinant clairement à avoir l'air naturelle, ses gestes presque maladroits tant ils étaient tremblants. « Oh tu sais, rien de bien extraordinaire... » Répondit elle ensuite tout en préparant le café. « Ça va oui, juste un peu fatiguée. »
Mentit elle, consciente que son discours était particulièrement décousu et avec l'impression que les battements de son cœur résonnaient dans toute la pièce. Les mains moites et tremblante, le corps comme transit de froid, la pâtissière avait envie de disparaître dans un trou de souris, incapable de savoir comment elle allait lui annoncer tout cela. Ce n'était pas une bombe qu'elle s'apprêtait à lui jeter dessus, c'était bien pire et la déflagration allait la blesser elle aussi, elle et Cole... Et peut-être même Alice. Une horreur.
Et pourtant la jeune femme n'a pas d'autre choix que de dégoupiller la grenade, incapable de garder le silence plus longtemps en sachant que la pauvre Cole n'attendait sûrement que de pouvoir rencontrer son père. Le cœur au bord des lèvres, le plus délicatement du monde, elle entame donc les hostilités... Doucement, petit bout par petit bout, essayant au possible de limiter les dégâts. Vainement bien sûr et la colère pourtant retenue de William lui retourne les boyaux, la rendant muette de culpabilité.
Retenant les larmes et triturant nerveusement ses doigts, Charlotte ne sait quoi répondre, le laissant déverser sa déception sans être capable de le regarder dans les yeux. Il a totalement raison, elle ne peut rien nier ou rejeter... Enfin non, il a tort sur le pourquoi de ce silence car la brune savait qu'il aurait été un merveilleux père, ce qu'elle avait maintes fois tenter de faire comprendre à Léa. Tout le reste était légitime : la déception, la colère, la tristesse... Et tout était partiellement de sa faute, tout cela parce qu'elle avait voulu respecter sa parole envers une amie plutôt que de laisser au père le choix de sa propre vie.
Quoi qu'il en soit, elle resta silencieuse à fixer ses mains quelques secondes qui lui semblèrent durer une éternité. Que dire ? Que faire ? Devait-elle lâcher la nouvelle du décès maintenant, alors qu'il lui demandait des nouvelles de Léa ? Finalement, les sentiments qu'il avait à l'égard de l'Anglaise était tout aussi douloureux que le reste, rappelant à Charlotte l'autre raison qui l'avait encouragé à ne pas lui dire : la peur de le perdre... Car elle l'aimait malgré tout, et c'était encore "pire" à l'époque.
Par chance -ou non, une voix derrière elle la sort de sa torpeur en la faisant presque sursauter. Cole est là, arrivant à point nommer pour répondre à toutes les questions de Will ou presque. Charlotte ne s'en sent pourtant pas rassurée, plus coupable encore de le contraindre à parler de tout cela alors qu'elle aurait dû en parler à son époux depuis longtemps... Depuis seize ans en fait... Et il est clairement trop tard pour corriger cette erreur tout comme il est sûrement trop tard pour sauver son mariage... Comment pourra-t-il lui pardonner une chose pareille en sachant qu'elle est incapable de se pardonner elle-même ?
« Je suis désolée… »
Murmura-t-elle simplement alors que Cole venait de se présenter sans oser parler du décès de sa mère. C'était déjà beaucoup pour Will, trop sûrement, ça l'était pour eux trois... Et tout cela par sa faute, elle qui avait voulu défendre son amie et obéir à une promesse idiote.
« Ce n'était pas parce que je te pensais incapable ou parce que Léa était plus importante que nous c'est juste... Juste que je ne voulais pas vous perdre. » Ajouta-t-elle finalement, parvenant à mettre des mots sur ses choix même si ce n'était pas très clair. « Si tu avais su, non seulement tu aurais quitté le Canada mais Léa ne m'aurait jamais pardonné et je ne pouvais pas vous perdre tous les deux... C'était une erreur que je regrette amèrement mais que je ne peux pas corriger, même avec la meilleure volonté du monde. » Trop tard oui, seize ans trop tard… Egoïste et idiote. « Je… Je vais coucher Alice, je pense que je suis de trop ici… Désolée… »
Parvint elle à articuler malgré les sanglots qu'elle sentait poindre. Ses yeux la brûlaient alors que les larmes menaçaient de couler. La culpabilité était immonde, assez pour que ses jambes semblent soudain trop faibles pour maintenir son poids. Nerveusement à bout, Charlotte n'avait qu'une envie : se laisser tomber au sol en pleurs, laisser couleur toute sa tristesse et toute sa colère envers elle même, tout ce dégoût aussi… Mais il fallait qu'elle soit forte, ne souhaitant pas leur infliger cela en plus du reste et ne voulant pas inquiéter Alice qui était déjà surprise de voir un inconnu sortir de la chambre…
Trop. Trop pour eux tous. Elle se détestait.