Charlotte était restée dans la chambre même après qu’Alice se soit abandonnée aux bras de Morphée. Seule assise sur le lit, elle fixait le mur sans trop savoir quoi faire, aussi bien dans l’immédiat que pour la suite. Cole était arrivé dans leur vie comme une tempête, emportant avec lui une désolation profonde que la pâtissière n’aurait jamais pu envisager… Non seulement elle venait de perdre une vieille amie mais, en plus, elle allait sûrement définitivement perdre son mari, ce dernier ne pouvant clairement pas la pardonner aussi facilement pour une chose pareille. Normal. Elle ne l’aurait pas pardonné non plus, pas si vite en tous cas, pas sans un peu de temps et beaucoup de réflexion. Déjà que leur relation avait été fragilisée par leur récente rupture, une telle entorse à la confiance qu’ils se portaient ne pouvait pas aider.
Pourquoi avait elle aussi égoïstement accepté de garder un tel secret ? Pourquoi avait elle aussi bêtement accepté de veiller sur Cole au cas où ? Léa aurait mieux fait de trouver une amie à Londres, une personne dans leur monde… Quant à William, elles n’auraient jamais dû lui cacher l’existence du garçon, ni l’une ni l’autre, c’était monstrueux… Triturant nerveusement ses doigts, la petite brune retournait la situation dans tous les sens, songeant aux mille et une meilleures décisions qui auraient pu éviter ce désastre ou, au moins, le limiter un peu. Léa aurait dû rester. Charlotte n’aurait pas dû sortir avec Will. Léa aurait dû parler de Cole. Charlotte aurait dû refuser de s’occuper de lui, forçant un peu Léa à le confier à son père car il était le plus légitime dans ce rôle. Elle n’aurait pas dû être là. Elle aurait dû rester en France. Elle n’aurait pas dû se marier avec William.
Or elle n’aurait pas eu Alice et, ça, ce n’était pas plus envisageable que le reste. Mais qu’allait il se passer maintenant ? Pas grand-chose de plus sans doute ? L’enfant allait continuer à passer d’un parent à l’autre mais, cette fois, avec un demi-frère qui lui rendrait peut-être les choses plus faciles car elle ne serait pas seule. Quant à sa relation avec William ? Là non plus, rien de plus, ils allaient sûrement s’ignorer un peu plus voire même envisager plus concrètement le divorce… Et dire que les choses semblaient aller légèrement mieux depuis quelques temps, voilà qu’ils repartaient à la case départ voire même un peu au-dessous, les bases de leur relation mises à mal par cette bombe des plus inattendue. Comment ignorer un tel mensonge ? Comment passer outre une telle trahison ? Charlotte n’allait plus pouvoir se regarder dans le miroir, pas prête de se pardonner à elle-même et donc certainement pas prête à revenir dans la vie de William qui ne pouvait penser mieux d’elle à l’heure actuelle.
Les yeux brûlants d’avoir fixé le mur trop longtemps et des larmes contenues, la jeune femme finit par se lever, prenant une grande inspiration avant de se diriger vers la porte qu’elle entrouvrit avec prudence, ne souhaitant pas les interrompre. William et Cole avait sûrement beaucoup de choses à se dire, hors de question de se mettre au milieu, elle l’avait déjà était malgré elle pendant quinze ans, obstacle résilient à leur relation. Une main sur l’embrasure de la porte, la pâtissière tendit l’oreille pour guetter le moment opportun, ne souhaitant pas espionner mais simplement ne rien interrompre ou, au moins, estimer un peu le temps dont ils pourraient avoir besoin. A aucun moment la jeune femme n’avait pensé que les choses pouvaient mal tourner car elle connaissait son mari et lui faisait confiance. Sans compter que ce n’était pas la faute du garçon, il n’était qu’une victime collatérale d’erreurs d’enfants et de mensonges d’adultes…
« Charlotte et moi, nous nous sommes laissés submerger par le travail, nous avons si tu veux pris des responsabilités professionnel en même temps, nous nous sommes oubliés en chemin, elle reprenait l’affaire familiale, et moi dans le domaine de l’hôtellerie ce qui demande beaucoup d’investissement autant l’un que l’autre puis cela nous a séparer. Nous nous aimons, notre amour est plus fort que tout. Nous traversons quelques turbulences mon fils mais nous avons tous deux la volonté de résoudre tout cela ensemble nous y travaillons. J’ai pris consciences de mes erreurs, je me dois d’être plus présent en organisant afin d’être là pour vous trois… Tout va s’arranger Cole… Je pense qu’il est tard, tu devrais aller te reposer, nous nous reverrons demain mon fils. »
Le cœur de la jeune femme se serra douloureusement à ses paroles. William avait raison, ils s’aimaient et s’étaient oubliés. Leur vie avait été très mouvementée avant l’arrivée d’Alice et la suite n’avait pas aidé. Les inquiétudes sur sa santé, la fatigues des nuits d’insomnie, le stress du travail… Comment pouvaient ils vivre une histoire d’amour sereinement dans tout ça ? Charlotte avait eu tellement peur de perdre sa fille même si ce n’était pas si grave. Sans compter la possible mort subite du nourrisson… Et elle avait aussi eu peur de perdre la pâtisserie qui avait vu sa clientèle baisser avant les travaux qui, en plus, les avaient poussés à fermer un moment. Trop de stress qui avait peut-être caché un léger babyblues mal assumé. Et William avait subit tout ça aussi, son travail lui prenant du temps et l’atmosphère à la maison ne l’aidant pas à avoir envie d’y revenir vraiment… Il n’était donc pas juste de lui jeter la pierre, Will n’avait pas réellement fait d’erreur, tout était de sa faute à elle et, aujourd’hui, ça l’était encore plus…
Une larme perla sur sa joue, sa main libre se serrant sur son cœur au point que ses ongles s’enfoncèrent dans la paume de sa main. Tout était de sa faute, elle était un poison pour sa famille, un monstre… Les yeux clos et les lèvres pincées, la brune essaya de se calmer pour rester le plus silencieuse possible, sourde à la suite de la conversation tant son cœur battait fort à ses tempes. Ses jambes tremblaient, menaçant de céder sous son poids pourtant loin d’être insupportable. Nous nous aimons, les paroles tournaient en boucle dans sa tête comme une berceuse rassurante, comme une bouée de sauvetage à laquelle elle tentait de se raccrochait pour sortir de cette étrange crise d’angoisse qui lui donnait l’impression d’étouffer. Les sanglots bloqués au fond de sa gorge bloquaient son souffle et la rendait fébrile alors son joli front se fronçait davantage. Pouvait elle se réveiller de se cauchemar si elle fermait un peu plus les yeux ? Non, elle aussi devait assumer ses erreurs même si elle était consciente qu’il y en avait trop pour qu’elle puisse totalement vivre normalement maintenant. Chacun sa croix.
Soudain, des bruits de pas la font brutalement revenir sur terre : Cole. Le garçon revenait vers sa chambre avec un air légèrement apaisé qui la rassura grandement. Même si elle avait décelé quelques éclats de voix au travers de la porte, les choses semblaient au moins s’être arrangées entre eux et c’était le principal. Si au moins il pouvait retrouver son père, si au moins il pouvait reprendre une vie presque normale, alors le reste ne comptait pas. Avec douceur et tendresse, Charlotte posa délicatement une main sur la joue du jeune homme quand il fut à sa hauteur. Bien sûr, l’adolescent était encore troublé mais il semblait aller relativement bien et elle en était sincèrement heureuse. Cole méritait une nouvelle vie stable, il méritait le bonheur après toutes ces épreuves.
« Merci d’avoir pris mon parti. » Murmura-t-elle, les yeux toujours humides d’émotions et son sourire tremblant un peu lui aussi. « Je suis heureuse que tu aies pu parler un peu avec lui. » Ajouta-t-elle toujours avec sincérité en cherchant le regard du garçon. « Va te reposer, tu dois être épuisé. »
Sourit elle en le libérant enfin. Tant d’émotions avait effectivement dû être difficile et il avait besoin de repos. Elle aussi d’ailleurs sauf qu’elle devait parler à William impérativement. Ils avaient tous les deux pris conscience de leurs erreurs oui mais le plus dur restait à faire et le pardon était loin d’être à portée de main… Seulement la jeune femme ne le méritait pas et, de ça aussi, elle en était consciente. Ce qui n’allait pas rendre les choses plus simples pour autant bien sûr, c’était juste ‘ça de moins’ comme on dit. Avec un nouveau soupir, la pâtissière rangea une mèche derrière son oreille puis pris son courage à deux mains pour rejoindre son mari au salon. Sagement, ce dernier l’attendait sur le canapé, songeur. Elle avait de la chance qu’il ait eu la patiente de l’attendre, qu’il soit encore là malgré tout… Peut-être était ce bon signe ? Oui… Or ça ne la rassurait pas vraiment, son cœur restant en furie et la gorge serrée.
« Je suis heureuse que vous ayez pu discuter… » Murmura-t-elle, le regard fuyant. Mais comment pouvait elle affronter son regard maintenant ? Elle avait envie de mourir… « Alice s’est endormie sans trop de mal, elle est très heureuse d’avoir un grand frère. »
Sourit elle, toujours attendrie quand elle parlait de sa fille. Debout près du canapé, les bras croisés sur son ventre qu’elle sentait pourtant bouillonner de dégoût pour elle-même, Charlotte se sentait nauséeuse, les larmes menaçant toujours de franchir ses paupières. William n’était pourtant pas du genre à devenir violent mais la jeune femme ne pouvait s’empêcher de redouter une tempête qu’elle n’était clairement pas prête à affronter, aussi bien mentalement que physiquement… Une tempête qu’elle avait elle-même déclenché pourtant, le tout par amour et par amitié, le tout parce qu’elle avait été trop idéaliste et égoïste… Si seulement elle pouvait revenir en arrière !